Haïti. Mais où diable est passé l'argent de la reconstruction ???
Publié le 13/01/2012 - 14:18
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12 janvier 2010, le centre ville de Port-au-Prince au lendemain du séisme.
Deux ans après le séisme de janvier 2010, le pays est loin de s’être remis debout. Peut-être est-ce parce qu’il a à peine vu la couleur des dons promis ? L’enquête du site américain CounterPunchdétaille dans quelles poches sont tombées les sommes versées par Washington.
En Haïti, on dirait que le
tremblement de terre a eu lieu il y a deux mois, et non il y a deux ans. Plus de
500 000 personnes n’ont toujours pas de logement et vivent dans des camps
informels ; le sol est encore jonché de tous les débris des bâtiments en ruine,
et le choléra a été introduit dans le pays et s’est
transformé en une épidémie meurtrière qui a déjà tué des milliers de personnes
et continue d’en toucher des milliers d’autres.
La vérité, c’est que pratiquement aucun
don du public n’a directement été envoyé en Haïti. Les Haïtiens n’ont à peu près
aucun contrôle sur cet argent, mais si l’on en croit l’Histoire, il est
probable qu’on leur reprochera ces échecs – un petit jeu appelé : “Accusons la
victime”.
Comme beaucoup d’autres personnes
dans le monde, les Haïtiens se demandent où est passé l’argent. Voilà sept endroits
où les dons sont ou ne sont pas allés.
1) Le bénéficiaire principal de
l’argent octroyé par les Etats-Unis après le tremblement de terre s’est révélé être
le gouvernement des Etats-Unis. Il en va de même pour les donations des autres
pays.
Juste après le séisme, les Etats-Unis
ont consenti une aide de 379 millions de dollars et ont envoyé
5 000 soldats. L’agence américaine Associated Press a découvert en janvier 2010 que 33 centimes de chacun de ces dollars avaient en fait été rendus
directement aux Etats-Unis pour compenser le coût de l’envoi des troupes
militaires. Pour chaque dollar, 42 centimes ont été envoyés à des ONGpubliques
et privées comme Save the Children, le Programme alimentaire mondial des
Nations Unies et l’Organisation panaméricaine de la santé.
L’ensemble du 1,6 milliard de
dollars alloué par les Etats-Unis au secours d’urgence a été dépensé de la
même façon : 655 millions de dollars ont servi à rembourser le département de
la Défense, 220 millions ont été envoyés au département de la Santé et des
Services à la personne pour qu’il aide les Etats américains à fournir des
services aux réfugiés haïtiens, 350 millions ont été affectés à l’aide
d’urgence fournie par l’Agence des Etats-Unis pour le développement
international (Usaid), 150 millions sont partis au département de l’Agriculture
pour participer à l’aide alimentaire d’urgence, 15 millions au département de
la Sécurité intérieure pour couvrir les frais d’immigration, etc.
L’aide internationale a été répartie
de la même façon. L’envoyé spécial des Nations unies pour Haïti a révélé que l’argent
du fonds humanitaire, soit 2,4 milliards de dollars, avait été distribué de la
façon suivante : 34 % ont été renvoyés aux organismes civils et
militaires des donateurs pour l’intervention d’urgence, 28 % attribués à des agences des Nations unies et à des ONG, 26 %
alloués à des sociétés privées et à d’autres ONG, 5 % reversés à
des sociétés nationales et internationales de la Croix-Rouge, 1 % a été versé au gouvernement haïtien et 0,4 % à des ONG haïtiennes.
2) Seulement 1 % des dons a été
envoyé au gouvernement haïtien. Selon l’agence Associated Press, sur
chaque dollar accordé par les Etats-Unis pour l’aide d’urgence, moins d’un
centime est parvenu au gouvernement haïtien. Il en va de même avec les
autres donateurs internationaux. Le gouvernement haïtien n’a absolument pas été
mis à contribution dans le cadre de l’intervention d’urgence menée par les
Etats-Unis et la communauté internationale.
3) Des sommes dérisoires sont
parvenues aux entreprises et aux ONGhaïtiennes. Le Center for Economic and Policy
Research, la meilleure source d’information qui soit dans ce domaine, a analysé
les 1 490 contrats attribués par le gouvernement américain entre janvier 2010 et avril 2011, et s’est rendu compte que seuls 23 d’entre eux avaient été accordés à
des entreprises haïtiennes. Dans l’ensemble, les Etats-Unis ont distribué 194 millions de dollars à des sous-traitants, dont 4,8 millions seulement à des
sociétés haïtiennes, soit environ 2,5 % du total. Quant aux sociétés
privées de la région de WashingtonDC, elles ont reçu 76 millions de dollars,
soit 39,4 % du total.
L’ONG Refugees International a
indiqué que leurs collaborateurs sur place avaient eu du mal à accéder aux
réunions opérationnelles organisées dans le complexe des Nations unies.
D’autres ont noté que la plupart des réunions de coordination de l’aide
internationale n’étaient même pas traduites en créole, langue que parlent la
majorité des Haïtiens !
4) Un pourcentage non négligeable de
l’argent a été transmis aux organismes internationaux d’assistance et aux
grandes organisations non gouvernementales faisant partie de réseaux influents. La Croix-Rouge américaine a reçu plus
de 486 millions de dollars de dons pour Haïti. Selon l’organisation, deux tiers
de cet argent a servi à sous-traiter l’intervention d’urgence et la
reconstruction, bien qu’il soit difficile d’obtenir plus de détails. Le salaire
annuel du PDG de la Croix-Rouge est supérieur à 500 000 dollars par an [390 000 euros, soit 33 000 euros par mois].
On peut aussi mentionner le contrat
de 8,6 millions de dollars entre Usaid et la société privée CHF, chargée de
nettoyer les décombres dans Port-au-Prince. CHF est une entreprise de
développement international qui, politiquement, fait partie de réseaux
influents, qui a un budget annuel de plus de 200 millions de dollars et dont le
PDG a gagné 451 813 dollars [354 000 euros] en 2009. Les bureaux de CHFen Haïti “sont installés dans deux hôtels
particuliers spacieux de Port-au-Prince et l’entreprise dispose d’une flotte de
véhicules flambant neufs,” selon le magazine Rolling Stone.
Rolling Stone a également révélé
l’existence d’un autre contrat, d’une valeur de 1,5 million dollars, accordé
au cabinet de conseil Dalberg Global Development Advisors, dont le siège est à New York.
Selon l’article, le personnel de Dalberg “n’avait
jamais vécu à l’étranger, n’avait aucune expérience en matière de catastrophe
naturelle ou d’urbanisme, et n’avait jamais été responsable de programmes sur
le terrain”, et seul un membre de l’équipe parlait français.
Le 16 janvier 2010, George W. Bush et
Bill Clinton ont annoncé le lancement d’une collecte de fonds pour Haïti. En
octobre 2011, les dons avaient atteint la somme de 54 millions de dollars. Deux
millions ont contribué à la construction d’un hôtel de luxe en Haïti, pour un
budget total de 29 millions de dollars.
5) Une partie de l’argent a été versée
à des entreprises qui profitent des catastrophes naturelles. Lewis Lucke, un coordinateur haut
placé d’Usaid, a rencontré le Premier ministre haïtien deux fois à la suite du tremblement de terre. Il a ensuite
démissionné et a été embauché – pour un salaire mensuel de 30 000 dollars - par la société Ashbritt, installée en Floride (déjà célèbre pour avoir obtenu
des subventions considérables sans appel d’offres après l’ouragan Katrina) et par un
partenaire haïtien prospère, afin de faire du lobbying pour obtenir des
contrats. Lewis Lucke a déclaré qu’il était “devenu
évident que si la situation était gérée correctement le séisme pouvait apparaître comme
une opportunité autant que comme une calamité”. Ashbritt et son partenaire haïtien se
sont rapidement vu attribuer un contrat de 10 millions de dollars sans appel d’offres.
6) Une partie non négligeable de
l’argent promis n’a jamais été distribuée. La communauté internationale a décidé
de ne pas laisser le gouvernement haïtien gérer le fonds d’assistance et de
relèvement et a insisté pour que deux institutions soient créées pour approuver
les projets et les dépenses dédiées aux fonds de reconstruction envoyés pour Haïti :
la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) et le Fonds
pour la reconstruction d’Haïti.
En mars 2010, lors d’une conférence,
les Etats membres de l’ONU se sont engagés à verser 5,3 milliards de dollars
sur deux ans et un total de 9,9 milliards de dollars sur trois ans. En juillet 2010, seules 10 % des sommes promises avaient été versées à laCIRH.
7) Une grande partie de l’argent
donné n’a pas encore été dépensée. Près de deux ans après le tremblement
de terre, moins de 1 % des 412 millions de dollars alloués par les
Etats-Unis à la reconstruction d’infrastructures en Haïti ont été dépensés par Usaid et le département d’Etat américain, et seuls 12 % ont réellement été
affectés, selon un rapport publié en novembre 2011 par le bureau américain
chargé du contrôle des comptes (GAO).
La CIRH qui, depuis sa création, a
été sévèrement critiquée par les Haïtiens, entre autres, est suspendue depuis la
fin de son mandat, en octobre 2011. Le Fonds pour la reconstruction d’Haïti a
été créé pour fonctionner en tandem avec la CIHR. Ainsi, tant que cette
dernière est interrompue, le Fonds pourra difficilement poursuivre sa mission.
Que faire ? Au lieu de donner de l’argent à des
intermédiaires, les dons devraient être envoyés autant que possible aux
organismes haïtiens publics et privés. Le respect, la transparence et
l’obligation de rendre des comptes constituent les fondements des droits
humain.
Haïti Monde Info
Source : Counter Punch-Petrolia (Californie)
Jnlouiswilly@gmail.com